Les voyageurs du vendredi by André Héléna

Les voyageurs du vendredi by André Héléna

Auteur:André Héléna [Héléna, André]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 2846080089
Éditeur: e-dite


CHAPITRE X

— Trempi ? demanda Caboutel.

— Trempo, ordonna Fil de Fer.

Une vapeur d’enfer venait des braises de sarment qui rougeoyaient dans l’âtre. La pièce était petite, éclairée par une seule fenêtre et un timide rayon de soleil passait à travers les volets mi-clos, à cause de la chaleur, après avoir caressé les pétales écarlates des géraniums.

Caboutel prit l’oule de fonte et versa la sauce sur les tranches de pain grillées frottées d’ail. Puis, d’un coup de poignet, il jeta les poissons cuits dans le grand plat. Une forte odeur d’iode et d’ail se répandit dans la pièce.

C’était, du reste, l’odeur commune de la plupart des foyers de Leucate, à cette heure-ci. La nuit dernière, la pêche avait été fructueuse et tout le monde avait fait la bouillabaisse. Une bouillabaisse onctueuse, colorée, haute de goût. Les sorels, les bogues, les maquereaux, les crabes et les rascasses qui la composait nageaient encore au large, quatre heures plus tôt.

Les deux hommes s’assirent, ouvrirent leur couteau de marins et, de la pointe, piquèrent au hasard dans le plat, sans se soucier d’une assiette.

Dehors, un vent léger faisait frissonner les feuilles frêles des acacias.

Les deux hommes mastiquaient en silence. À peine si l’on entendait au loin les craquements d’une charrette et la musique diffuse d’un poste de radio. De temps en temps, l’un d’eux levait la gourde de peau de chèvre et buvait à la régalade. Le vin giclait en longs traits sifflants, puis le pêcheur s’essuyait la bouche du revers de la main, posait la « bouchaca » à côté de lui et retournait au plat. Ils savaient, l’un comme l’autre, se passer de verres autant que d’assiettes.

— Beau temps, dit Fil de Fer.

— Beau temps, répéta Caboutel.

Et ils replongèrent dans le silence jusqu’au moment où l’on frappa à la porte. Les deux hommes se regardèrent. Dans ce pays trop familier, il n’y avait que les gendarmes ou le garde maritime pour frapper avant d’entrer.

— Oui ! cria Fil de Fer.

La porte s’ouvrit sur une flambée de soleil et sur l’ombre d’un homme de haute taille. L’ombre, que le soleil avait éblouie et qui n’y voyait rien, dans la pièce aux volets clos, si ce n’est le rougeoiement des braises et le grouillement d’autres ombres indéfinissables, hésita :

— Té ! dit Fil de Fer, c’est le journaliste. Entrez monsieur.

François descendit à tâtons les deux marches qui donnaient accès à la cuisine-salle commune.

— Vous voulez manger la bouillabaisse avec nous proposa Caboutel.

— Non, merci.

— Alors vous prendrez bien le pastis, décida Fil de Fer. Caboutel, va chercher le pernod. Il y a de l’eau fraîche dans le cruchon.

L’autre pêcheur revint avec une bouteille pleine d’un liquide d’un vert ambré, lumineux.

— Ça, triompha Caboutel, ce n’est pas le pastis du bistrot, vous allez voir. Nous le faisons nous-mêmes.

— Ce n’est pas défendu ? hasarda François.

Une forte odeur d’absinthe et d’anis sauvage se mêlait au parfum de la bouillabaisse.

Fil de Fer haussa les épaules.

— S’il ne fallait faire que ce qui est permis !

François s’assit sur une chaise de paille.



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